mardi 11 août 2015

Familistère de Guise, utopie sociale réussie

hebergement d'image

Spécialiste français des poêles en fonte, Jean-Baptiste Godin a bâti à la fin du XIX e  siècle un modèle de société idéale : le Familistère, installé dans l’Aisne. L’un des rares exemples d’utopie réalisée, qui durera plus de quatre-vingts ans.

Il est temps de se demander si ceux qui créent la richesse n’ont aucun droit aux bienfaits et aux splendeurs qu’elle procure ! » Nous sommes en 1871. En une phrase, Jean-Baptiste André Godin, industriel de l’Aisne qui a fait fortune grâce à la fabrication de poêles en fonte, a résumé son grand projet dans « Solutions sociales », un ouvrage programmatique. Utiliser le succès de l’entreprise familiale pour réaliser un modèle social idéal où les bénéfices réalisés mais aussi le progrès et le bien-être qui en découlent profitent à tous. Ce sera le Familistère, ce « palais social » de briques rouille classé monument historique depuis 1991 et qui, l’an dernier, a accueilli 63.000 visiteurs. Construit à partir de 1859 près de la commune de Guise, ce lieu entouré de jardins et de bras de l’Oise représente il est vrai l’un des rares exemples d’utopie sociale réalisée. Avec une longévité exceptionnelle de… plus de quatre-vingts ans.

Un entrepreneur visionnaire

De son tour de France effectué dans les années 1840, cet autodidacte, né à Esquéhéries, est rentré convaincu qu’il fallait apporter une solution à la misère sociale générée par la révolution industrielle. Il va incarner ce projet dans l’entreprise héritée de son père.
A l’origine du Familistère, se trouve en effet avant toute chose la réussite industrielle de Godin. En quelques années, celui-ci a transformé l’atelier de serrurerie de son père en une entreprise fabriquant des poêles, leader sur son marché. Son idée de génie ? Utiliser la fonte, qui répartit idéalement la chaleur. Les bénéfices de la société vont permettre à cet entrepreneur visionnaire d’expérimenter une nouvelle organisation sociale au sein du Familistère, lieu de vie et de travail.

Pour Godin, ce projet passe par le transfert de l’outil de production à ses ouvriers. Grâce à la création de l’Association coopérative du capital et du travail, ces derniers sont désormais collectivement associés au capital social ainsi qu’au partage de ses bénéfices. «  En 1887, ils détenaient près de la moitié du capital. Tous sont rémunérés au titre du travail et du capital mais tout le monde ne gagne pas la même chose », souligne Frédéric Panni, le conservateur du Familistère. Au sein du capital, les salariés se répartissent en effet en plusieurs catégories – les associés, qui constituent l’« élite », les sociétaires, les participants, les auxiliaires –, chacune ayant des aptitudes et des obligations. Ainsi, pour être associé, il faut entre autres savoir lire et écrire, avoir vécu au moins cinq ans au « palais ».

Un souci du détail étonnant

Car le Familistère concrétise aussi l’ambition de Godin de créer pour ses ouvriers un lieu de vie égalitaire et communautaire, dans la lignée du phalanstère imaginé par le philosophe Charles Fourier. A la redistribution des richesses se greffe l’idée d’assurer leur épanouissement, de les élever intellectuellement et moralement en organisant les conditions de leur bien-être grâce à un projet éducatif et social. Et de l’hébergement aux loisirs et à l’hygiène, tout a été pensé avec un souci du détail étonnant. Ainsi, au sein du palais, les logements ont été organisés autour de vastes cours intérieures éclairées par des puits de lumière. Ils disposent de l’eau courante. Un système d’aération sophistiqué a également été prévu. Jusqu’à 3.000 personnes, dont Godin et son épouse Marie Moret, habiteront les lieux et profiteront de ses aménagements. «  Godin a conçu le palais pour que tout soit accessible dans un rayon de 500 mètres », relève Alexandre Vitel, directeur adjoint du Familistère. Pour permettre aux femmes de travailler, ont été prévus une nourricerie, un « pouponnat », des écoles qui déjà sont mixtes et obligatoires. Un théâtre a été créé ainsi qu’une buanderie-piscine. Dans un souci d’hygiène des corps et du linge. Enfin, un système d’économat permet aux habitants de profiter des meilleurs prix pour leurs achats.
Des photos anciennes témoignent des grandes fêtes qui y étaient organisées. Bien avant l’institution du 1er Mai, on y célébrait ainsi la fête du Travail lancée le 2 juin 1867 par ce patron aux idées sociales innovantes… En témoigne la mise en place d’un système de protection sociale pour les salariés, qui assure une retraite aux plus de soixante ans !

Distancé par la concurrence

A ses débuts, le Familistère est toutefois loin de faire consensus. «  Qu’est […] le Familistère de Guise sinon l’encasernement dans un palais, il est vrai, de familles ouvrières ? » s’interroge en 1887 « Le Bien public ». L’Eglise aussi ne cache pas son hostilité fustigeant l’éducation laïque prodiguée aux enfants (le catéchisme n’y est pas enseigné). De leur côté, les industriels de la région redoutent l’effet de contagion d’une telle expérimentation chez leurs salariés.
L’esprit communautaire qui domine le Familistère n’empêche pas les conflits sociaux. En 1929, le « palais » connaît sa «  première grève officielle », selon Frédéric Panni. D’autres mouvements sociaux surgiront dans les années 1960 lorsque l’emploi sera menacé au sein de l’usine Godin. Faute d’innovations et d’investissements suffisants, la firme, hier pionnière, s’est laissée distancer par la concurrence et périclite. L’esprit sociétaire a lui aussi fini par se déliter. L’aventure de la société coopérative s’achève et Godin revient à un statut classique de société anonyme en 1968, ironie de l’Histoire.
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire