« « Le 14 Juin 1944, à 7 heures du matin, j’arrivais au château de Mademoiselle Godin pour commencer mon travail. Avant d’entrer dans la cour du château, j’ai remarqué sur la rue (route de Villers les Guise), deux hommes appuyés face au mur (il s’agit de Pierre de Martimprey, propriétaire du château d’Aisonville et maire ainsi qu’Emile Borgne un fermier d’Aisonville, adjoint au maire. Ils furent dénoncés par la famille X, garagiste à Guise), les mains levées, près de la seconde grille ; ils étaient gardés par des soldats allemands en armes.
Quelques instants plus tard, quatre soldats et un officier allemands SS sont venus les chercher pour les emmener dans la pâture, située après le château. Afin de savoir ce que ces allemands allaient faire de ces hommes, je suis allé chercher dans la petite baraque du jardin, un outil, pour pouvoir me créer un alibi au cas où je serais vu par les allemands, et me suis rendu derrière le château, au bout de ladite pâture ; je me suis caché derrière les broussailles et j’ai pu observer ce qui se passait.
Dans la pâture, il y avait des camions allemands et une soixantaine de soldats SS. Ces soldats et l’officier les commandant, semblaient être pris de folie furieuse ; j’ai appris par la suite que c’était parce que des FFI avaient tué un de leurs officiers à Aisonville (il s’agit d’un Allemand qui était venu chercher du beurre au château de Martimprey, comme chaque semaine. Il fut abattu car il avait vu les résistants armés dans la cour du château).
Les deux hommes ont été conduits dans le fond de la pâture, à l’endroit où elle est en contrebas de la route.
Les quatre allemands se sont mis derrière eux et leur ont tiré une rafale de mitraillette. Pendant l’exécution, l’officier SS se tenait à quelques mètres ; les 60 autres SS étaient un peu plus éloignés.
Après l’exécution, les SS ont traîné les corps par un pied pour les mettre près de la clôture de la pâture et sont partis.
J’ai attendu un certain temps et je me suis avancé pour reconnaître les corps des victimes, il s’agissait de Monsieur Martimprey et de Monsieur Borgne, d’Aisonville et Bernoville. J’ai recouvert leur visage. Leurs corps sont restés sur le terrain jusque 15 h 15.
A 14 heures, j’étais dans la cour du château, quand une camionnette allemande est arrivée, elle est entrée dans la cour et 4 hommes en sont descendus (Henri Minet cultivateur à Noyales et Raymond Williot ouvrier agricole à Noyales furent arrêtés car des tracts anglais ont été retrouvé chez eux, Raphaël Boulay ouvrier agricole à Avesnes et Edouard Bucquoy tailleur à Avesnes venus chercher du ravitaillement à Longchamps furent considérés par les Allemands comme des terroristes).
Ils étaient attachés deux par deux par le bras. Un des soldats SS a donné un coup de pied dans le bas des reins, à l’un deux, que j’ai ensuite reconnu pour être Monsieur Minet de Noyales, parce qu’il ne marchait pas assez vite.
Quelques instants plus tard, ils ont été emmenés dans la pâture, à la place où les deux premiers avaient été fusillés. Je me suis rendu au bout de la pâture, comme la première fois, les SS leur ont donné des pelles et leur ont fait creuser un trou, une fosse d’environ 2m50 sur 2m50 et de 70 cm de profondeur. Quand la fosse a été creusée, les SS ont fait ranger les quatre hommes sur le bord, face au trou, et les ont tués, l’un après l’autre, d’une rafale de mitraillette. Ils sont tombés dans la fosse, et sont restés dans la position de chute ; les SS sont ensuite allés chercher les deux premières victimes en les traînant par les pieds et les ont mis dans la fosse, sur les quatre autres corps. Ils ont ensuite rebouché la fosse.
Quand les SS ont fusillé les quatre hommes, il était environ 14 h 30. Vers 15 h 45, il est arrivé, en voiture, un homme que je ne connaissais pas, il était blessé au bras droit et portait un pansement (il s’agit de Roger Durocher, qui est un résistant FFI, Forces Françaises Intérieures, dénoncé par Suzanne B. de Guise, lorsqu’il arriva en train à la gare). Il était accompagné de civils allemands, de la Gestapo, certainement ; ils l’ont obligé à se mettre face au mur, la main gauche levée, il est resté dans cette position un assez long moment, sous le soleil ardent. Ensuite, un officier SS est arrivé, et l’a fait asseoir sur le talus, il est resté seul très longtemps, et a été interrogé, à plusieurs reprises, par la Gestapo.
A 16 h 30, il est arrivé un camion, quatre hommes que je ne connaissais pas ; également liés 2 par 2 par le bras (Robert Salé, Emile Dubois, Marcel Rousseau et Zygefrid Dominiak, tous des Résistants). Ils ont été emmenés dans la pâture, et des SS sont venus les chercher l’un après l’autre pour les interroger dans le salon du château, où étaient installés des individus faisant partie de la Gestapo.
Après leur interrogatoire, ils ont été reconduits dans la pâture. Les SS leur ont fait faire leur fosse, et le blessé qui était toujours sur la route, a été conduit avec les autres.
A partir de ce moment, je n’ai plus eu le courage d’assister à la scène de carnage et suis parti me cacher dans le jardin, de l’autre côté de la route.
A 18 h 30, j’ai entendu cinq rafales de mitraillettes.
Le lendemain, je suis retourné, en me cachant, sur les lieux du massacre, les deux fosses étaient rebouchées et les vaches les piétinaient.
Je ne puis fournir aucun renseignement sur les soldats et leurs officiers qui ont fait le massacre.
J’ai entendu dire que ces soldats étaient cantonnés à Hirson. Je suis certainement le seul témoin de cet assassinat, car il était impossible de circuler sur la route de Villers les Guise, qui passe devant le château, les SS ayant posté des sentinelles pour en interdire l’accès aux civils »