samedi 26 mars 2022

Trois femmes de Sarajevo

 Ma vie militaire est aujourd'hui terminé et mon collège de la place Lesur de Guise est toujours dans ma mémoire … j'ai rencontré des personnes qui ont beaucoup souffert et mes souvenirs sont à raconter pour les honorer … 

J'ai côtoyé beaucoup de personnages dans ma vie militaire...chaque connaissance est un bonheur et un enrichissement ...Je suis heureux de vous parler d'eux en évoquant mes souvenirs...il y a eu des épisodes heureux ...d'autres bien malheureux...notre vie est ainsi faite...
Je dois vous parler aujourd'hui de trois femmes ...trois femmes exceptionnelles car elle m'ont appris que la souffrance ne doit pas nous empêcher de vivre... de rire et de diffuser le bonheur autour de soi...
A Rajovac le bataillon employait des civils bosniaques...le peu de salaire que nous leur donnions leur permettait de vivre dans un monde qui sortait de la guerre...si vous aviez vu les immeubles éventrés par les bombes...
Ces trois femmes, je vais vous donner leurs prénoms...
Mira
C'était une jeune veuve de 25 ans... elle travaillait aux cuisines ... elle ne parlait jamais de son mari mort à la guerre...elle était grande et me dépassait de deux têtes...si bien que je levais les yeux pour regarder son beau visage...pas de souffrance apparente chez elle quand elle me regardait avec bonté... un léger sourire en coin que j'aimais beaucoup... Mira ne parlait pas beaucoup elle aimait simplement ma compagnie qu'elle recherchait seulement le dimanche quand elle était de repos...elle me demandait de danser ...sans musique ...rien que de mimer la danse avec moi...elle ne me serrait pas ...elle était légère malgré sa taille...Mira je pense souvent à elle ...

Aïda
Elle nous servait nos repas... très blonde ... elle cachait ses beaux yeux bleus derrière un sourire de tristesse...la vie ne l'avait pas épargnée... une grande cicatrice de brulure abîmait son beau visage...on avait envie de la protéger... elle ne parlait pas beaucoup non plus...c'était plutôt "oui" ou "non" ou "hum"
J'allais le retrouver le soir après son travail à la salle à manger...assis en face l'un de l'autre...elle me regardait longuement..
Un jour elle m'a donné son adresse à Sarajevo... je me suis promis de lui écrire...mais lui écrire quoi? je ne voulais pas qu'elle s'imagine que je pourrais venir la chercher pour la ramener en France... elle ne rêvait que de ça... non je n'ai pas écrit...d'autres militaires sont venus derrière moi pour nous remplacer... peut être a t elle trouvé l'homme de sa vie parmi eux...

Sénada.
C'était le beauté toute simple...elle n'avait que 21 ans... ses cheveux noirs entourait son visage mat sur lequel on ne voyait que ses yeux... ils avaient la couleur de la mer quand elle est belle et dans laquelle on aime plonger...je plongeais souvent dans les yeux de Sénada...
Elle avait le culot de sa jeunesse et affichait sa rebellion en permanence... si bien que ses chefs étaient assez réservés sur le choix de la garder...elle était serveuse derrière le bar du bataillon. C'était notre Madelon... elle avait un faible pour moi...et quand elle a été "remerciée" pour insubordination...elle est venue dans mon bureau fondre en larmes...ses beaux yeux mouillés m'ont fait mal au cœur...
C'était la sœur d'Aïda et chaque jour après son départ...Aïda me glissait dans l'oreille que j'avais un bonjour de Sénada... 

Je suis retourné au camp 2 ans plus tard ... plus personne... l'armée allemande avait remplacé les soldats français et le batiment qui nous abritait était devenu un hopital de campagne... j'ai eu mal au coeur de voir ça ne sachant pas ce qu'elles étaient devenues ...

J'ai côtoyé ces trois femmes pendant plus de cinq mois dans ce camp de la banlieue de Sarajevo... elles m'ont appris beaucoup par leur comportement ... moi le petit français oui petit car leur cœur était grand ..elles ... Je leur ai parlé de notre belle ville de Guise et elle doivent se souvenir ..... 

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